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9- Mirador del condor

By 9 février 2023février 25th, 2023Ama'ventura

La petite blague de cette fin d’année est que nous avons bien failli ne jamais nous retrouver avec Monica et Emiliano comme prévu. Mais cela n’aurait pas été de notre faute ! En effet, la petite Fiat a décidé, en pleine traversée de la Pampa, que sa courroie d’accessoires devait être changée. Petit coup de stress pour Emiliano qui, avec un peu de chance, a réussi à trouver in extremis un garagiste disponible pour lui faire la réparation.

Nous voilà donc réunis tous les 6 à Villa La Angostura, pour passer la fin d’année ensemble. Nous sommes installés dans un camping, où Moni et Emi ont pu aussi louer un petit appartement. Alba et Leno sont très heureux de retrouver leur grand-mère et leur oncle qu’ils ont finalement peu connu, sinon à travers WhatsApp depuis 3 ans. Donc le programme est à la détente et aux retrouvailles familiales, après 10 jours de route et d’aléas mécaniques.

Villa La Angostura (L’étroite) doit son nom au rétrécissement de quelques dizaines de mètres entre 2 bras du lac Nahuel Huapi, à la base d’une presqu’ile où elle a été construite. Grâce à la proximité du lac et de la petite station de ski Cerro Bayo, elle explose littéralement depuis quelques années comme destination touristique. Ce sont principalement des gens de Buenos Aires, relativement aisés, qui viennent passer quelques semaines par an. Nous passons ainsi devant de belles propriétés, surtout du côté de Puerto Manzano, dont certaines sont très bien situées avec vue plongeante sur le lac, ponton privé et bateau s’il vous plait ! Heureusement, il est aussi possible de trouver des plages moins accessibles et plus tranquilles, où on peut apprécier un bon bain rafraichissant avec vue sur les Andes !

En rentrant du lac, j’ouvre un des coffres arrières pour sortir une chaise pliante et je me rends compte que la 3ème roue, désormais de secours et vérifiée à Nahuel Huapi, est à nouveau à plat… Dégonflée ou crevée ? Je n’en sais rien, mais je ne veux pas rester comme cela à la veille d’un jour férié. Je profite alors de la présence d’Emiliano pour la charger dans le coffre de sa petite Fiat, et nous l’amenons à une Gomeria. En quelques manipulations expertes et précises, la roue est démontée et un superbe clou de 3 bons centimètres apparait, planté à travers la bande de roulement. Nous tenons le responsable !

Pour la soirée du réveillon, nous nous retrouvons dans l’appartement de Moni et Emi pour partager un petit repas et un verre de mousseux. Quelques pétards explosent aux alentours de minuit pour marquer la fin de l’année 2022 et des airs latino résonnent dans le camping où chaque « fogon » (BBQ) est allumé, avec de la braise sous la « parilla » (Grille) garnie de 2 ou 3 kilos de viande cuisant à basse température. Le savoir-faire culinaire argentin par excellence !

Mis à part 2 petites sorties en course à pieds, je n’ai pas trop bougé mon corps depuis notre arrivée en Argentine, et ça commence à me titiller… surtout depuis que nous sommes arrivés dans la cordillère et que les montagnes semblent m’appeler.

Je n’ai pas trouvé de carte, et je ne parle même pas d’un équivalent TOP 25 IGN… alors je cherche des options de balade par différents moyens. C’est sur Trip Advisor que je découvre une idée de rando pour accéder à une cascade et un « mirador ». En lisant les commentaires, je tente d’identifier le lieu sur Google Map. Pas gagné, mais j’en conclus qu’en partant à pied du camping, j’en aurai pour 18 à 20km aller-retour. Pour le dénivelé, aucune idée, mais cela ne semble pas dépasser les 1000m.

Le lendemain, le réveil sonne à 6h30, avant le lever du soleil, et avant que les bandurias ne commencent à trompeter ! Je traverse en courant les rues rectilignes de Villa La Angostura où quelques chiens me saluent d’un ou deux aboiements. Globalement, la ville dort. Je continue sur une piste de terre qui monte dans forêt, jusqu’à un parking géré par une communauté Mapuche. C’est le départ de la rando. Je passe une barrière, la piste se rétrécit, et je continue l’ascension. C’est la première fois que je pénètre dans une forêt des Andes. Les arbres sont massifs, très hauts, principalement feuillus. Quelques oiseaux semblent se répondre par des cris inconnus (de moi :). Un panneau indique la cascade sur la droite. C’est le début d’un sentier qui serpente entre les grands arbres, dont la poussière sombre se lève à chacun de mes pas. Difficile de garder des chaussettes propres dans cette région !

Sans m’en rendre compte, je suis déjà arrivé à la cascade. Un petit ruban d’eau plonge dans un canyon verdoyant. C’est mignon, mais pas suffisant à mon goût en terme d’exercice physique. Je repars donc en espérant trouver le mirador. Le sentier devient de plus en plus raide, et parfois glissant. Mais c’est surtout que je fais parfois face à des pattes d’oie, dans aucune signalétique. Je fais donc confiance au ressenti… A droite ? A gauche ? On verra bien. Le mirador doit être en haut, et le camping en bas. Ça passe large !

Je dois être autour de mon 8ème kilomètre et je suis déjà pas mal monté. Parfois, je distingue les lacs entre les branches. La vue promet d’être sympa ! Je commence aussi à sentir le poids du sac, un petit 10kg avec tout le matos photo/vidéo, le drone, une veste et 1l d’eau. Je pense être aussi parti un peu vite, sans échauffement, ni rien à manger… mais par manque de place, j’ai donné priorité au matériel photo.  Bref, considérant tout cela, plus le fait que mon entrainement a été quasi nul depuis 6 mois, je commence clairement à en chier sur ce chemin très raide ou je patine… Le bon point est que le temps est un peu couvert, avec du vent en altitude, ce qui rend la température parfaite pour marcher.

Toujours dans la forêt, je finis par arriver à ce qui semble être le sommet d’une bosse. En effet, la forêt s’éclaircit un peu, et j’accède enfin à un premier balcon avec vue sur lacs… Woaw, ça claque !

Je prends quelques images et je vois que cela fait plus de 2h que je suis parti. Je n’ai aucune idée de là où je vais ni de la distance qu’il me reste à faire. Je marche encore près de 30 min et alors que je commence à penser à faire demi-tour pour être de retour avant midi, la vue se dégage au-dessus de moi. J’aperçois le sentier qui monte droit sous une pointe rocheuse, dont le sommet est planté d’une croix. Cela pourrait bien être mon mirador ! Chouette, mais je vais prendre à priori un bon 500m de déniv dans les pattes…. Et le sentier devient encore plus raide et glissant, au point ce devoir parfois mettre les mains !

Je me dis que l’effort sera récompensé et après quelques dérapages de semelle supplémentaires, je rejoins enfin la crête, traversant de véritables bancs de sable clair entre les blocs de rochers. Etrange paysage. Mais une fois en haut, c’est la quasi-totalité des 7 lacs qui s’ouvre devant moi, comme une mer parsemées d’iles et de forêts, vers le Sud, le Nord, et à l’ouest vers la frontière Chilienne. Le vent souffle assez fort et derrière moi la crête est bouchée par des nuages, mais je prends tout de même le risque de décoller le drone en me disant que ce serait dommage de ne pas ramener des images. Il me vient aussi l’idée de faire une photo « calendrier », type FCM (pour les initiés). Ca caille bien, mais je me motive, car cela doit faire pas loin de 7 ou 8 ans que je n’y ai pas joué… Mais tout ce petit jeu prend du temps, et je me dis qu’il serait bien que je commence à redescendre pour retrouver la famille avant midi.

Je viens de fermer le dernier zip de mon sac photo, quand une silhouette noire sort des nuages sur la crête et attire mon attention. J’ai à peine le temps de relever la tête pour réaliser que c’est un condor qui fonce dans ma direction ! Il file droit dans le sens du vent, ses immenses ailes déployées, et lorsqu’il passe à mon niveau, à moins de 10m, il tourne la tête comme pour me saluer. Je suis paralysé par la surprise et l’extase de cette rencontre. Et lorsque je réalise que je pourrais faire une photo, je plonge sur mon sac pour attraper mon 70-200mm. Mais les 30s nécessaire à cette action sont bien trop longues, et lorsque je pointe mon zoom dans sa direction, il a déjà traversé la vallée pour rejoindre la montagne en face, et je distingue à peine sa collerette blanche.

Ce n’est pas grave, j’ai toutes les images dans ma tête, et je sens encore mon cœur battre de bonheur. Je profite de cette montée d’adrénaline pour me lancer dans la descente, entre petite courses, grandes enjambées, et glissades inévitables vu le terrain. Lorsque j’arrive au parking Mapuche juste avant 11h, les premiers randonneurs sont sur le départ. Je réalise alors à quel point j’ai apprécié être pendant près de 4h le seul être humain sur cette montagne, et je me dis que je ne tarderai pas à remettre ça !