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15- Esquel et la grande traversée

By 4 février 2023février 25th, 2023Ama'ventura

Lorsque nous quittons le Parc National par son accès Sud, une odeur de fumée vient piquer mes narines. Un gros incendie vient tout juste d’être contenu. Plus au nord, vers El Bolson où nous étions la semaine dernière, les feux font rage et certaines personnes ont dû être évacuées. Côté Chilien, ce sont des dizaines de milliers d’hectares de forêts qui sont déjà tombés en cendres. En effet, le risque est au maximum du fait de la sécheresse. Les zones boisées sont immenses, souvent peu accessibles, et les moyens disponibles pour combattre les flammes sont très limités. Autant dire que lorsqu’un feu se déclenche, il faut espérer que la nature puisse elle-même y mettre fin. Mais ce qui est terrible, c’est qu’on entend ici aussi des histoires d’incendies criminels, motivés par des querelles de droit sur les terres. Bref, l’homme a définitivement oublié qu’il fait partie de cette nature qui ne lui appartient pas….

En quelques heures de route, nous atteignons Esquel, une ville installée en fond de vallée, entourée de grandes montagnes pelées. C’est une destination touristique reconnue pour les sports d’hiver. Sortie de cela, elle n’a pas un grand intérêt ni un charme particulier. Néanmoins, nous passons quelques heures au centre pour que les enfants jouent au parc, faire quelques courses, et déguster une glace artisanale. Nous décidons d’enchaîner vers le Sud en direction de Tecka où pour y passer la nuit avant de nous lancer sur la route 25 et la traversée Est-Ouest vers Madryn.

La grande avenue qui traverse Esquel est marquée par des dos-d’âne et des caniveaux bien creusé qui secouent un peu les suspensions de la Ama. C’est à ce moment, en seconde, que le fameux bruit réapparait…. J’ai le sentiment que cela vient de la roue avant droite, mais sans certitude. Il y a un peu moins de 100km jusqu’à Tecka, et malgré un petit doute, nous poursuivons notre chemin. La route est belle, le vent nous pousse, le bruit s’efface lorsque nous sommes lancés en 4ème, et comme pour détourner notre attention, le coucher de soleil est magnifique. Une famille de guanacos nous regarde passer au loin. Nous profitons de ce tableau typique d’Amérique Latine en partageant un maté, et une grosse heure plus tard, nous arrivons à Tecka.

Je me réveille tôt, avec un doute : est-ce une bonne idée de traverser avec ce bruit que nous n’avons pas identifié ? Je pars alors marcher dans le quartier, et je vois passer un camping-car très ressemblant à la Ama, monté sur une vieille camionnette Ford, mais davantage dans son jus. Je salue les propriétaires qui se sont arrêtés pour déjeuner et nous parlons de nos véhicules respectifs. C’est un couple de Chiliens, la soixantaine bien passée, qui voyagent depuis quelques mois. Quand je partage mes doutes sur le bruit venant à priori de la roue droite, l’homme me met en garde sur un problème de frein qu’il a eu sur la sienne, assez classique, mais qui peut finir par casser et bloquer la roue. Je le remercie et je décide de trouver un mécanicien pour jeter un œil ce matin. Je me sentirai plus rassuré.

Une bonne heure plus tard, j’ai laissé Maria et les enfants au parc, et je stationne devant une Gomeria. J’explique la situation, et le bonhomme inspecte les roues de la Ama. Mais selon lui, elles vont bien. Je l’invite à faire un tour du quartier avec moi en espérant que le bruit réapparaisse : et Bingo ! Il me regarde et me dit : « Ça c’est un bruit qui vient plutôt de la boite de vitesses… » Bon, OK, je sais que je ne suis pas mécano ! Alors mes diagnostics ne valent pas grand-chose… De retour à la Gomeria, il se glisse sous le châssis et 1 min plus tard ressort la tête pour m’annoncer « C’est la cruceta qui a pris du jeu… » Mais NOOOOON !! Pas encore !! Et bien si… mais cette fois, c’est celle à l’avant.

Bien sûr, il n’est pas question de se lancer dans une traversée de 600km avec le risque qu’elle cède au milieu de nulle part. Et il n’y a aucune option pour trouver une cruceta de rechange à Tecka, ou cela prendrait plusieurs jours pour se la faire expédier. Après une grosse hésitation, nous décidons de tenter le retour à Esquel, en espérant arriver jusque-là.

Nous y parvenons en début d’après-midi. Sur la base de notre expérience, Maria propose de louer une cabaña dans un camping, de manière à ce que l’un de nous deux reste avec les enfants pendant que l’autre parte en quête d’un garage disponible. OK, je m’y colle ! Après tout, je commence à connaitre pas mal de vocabulaire mécanique… Pour cela, Google pourrait être mon ami. Mais plusieurs adresses proposées n’existent plus, sont fermées, où totalement saturées de boulot. Je m’accroche…. Et je finis par tomber sur Ariel, un mécano spécialisé dans les poids-lourds. Il est tout seul dans son grand atelier car son associé est parti en intervention. Je lui explique le problème et il me propose de démonter la cruceta pour que je tente de trouver un remplacement. Sympa Ariel ! La pièce n’a visiblement pas bougé depuis longtemps, et il lui faut une bonne heure pour la sortir de son logement, à grands coups de marteau (dont un finit sur son poignet et je l’entends jurer comme un vrai charretier argentin). Peut-être qu’il regrette de m’avoir aidé… mais il reste néanmoins très sympa, et me propose de me déposer devant le seul magasin de la ville où, selon lui, j’ai une chance de trouver LA cruceta. Car selon lui, ce n’est pas un modèle très courant. Je croise fort les doigts en entrant dans la boutique ; et là, les planètes continuent de s’aligner. Le magasinier disparait derrière ses étagères, puis revient 3 minutes plus tard avec une pièce qui selon lui fera l’affaire. Quelle chance !

Le lendemain avant midi, Ariel a monté la nouvelle cruceta sans se blesser, les affaires sont chargées dans la Ama, et nous sommes prêts à nous lancer dans la grande traversée. Nous faisons le plein de gasoil à Tecka, malgré une queue de presque 45 minutes, car nous ne croiserons pas de station avant 160 km. Maria est au volant et je laisse mon regard se perdre dans la steppe qui défile à l’infini. Nous traversons le Paso de Indios, semblable à un village fantôme, posé au milieu de l’infiniment plat. Mais de quoi peuvent bien vivre les gens par ici ? Pour moi c’est un vrai mystère.

Deux bonnes heures plus tard, en approchant Los Altares, le paysage prend une tout autre tournure. Des montagnes apparaissent, semblables aux « Mesas » des Westerns américains. La roche passe du jaune pâle au rouge, avec toutes les nuances de couleurs possibles. Nous avançons le long de falaises verticales, parfois au raz de la route. Et nous apprécions d’autant plus ce spectacle, que nous nous attendions à 600 km de désert, comme lors de la traversée de la Pampa : une bien belle surprise ! Il est presque 20h et le soleil approche de l’horizon. Nous sommes à mi-parcours, et après cette bonne journée, nous nous arrêtons au bord d’une rivière pour passer la nuit.

C’est l’entrée d’un canyon, où la roche, creusée par le courant, s’effrite et finit par chuter dans l’eau. Quelques gros oiseaux semblent pêcher à proximité de la berge. Mais ils déguerpissent vite, dérangés par les cris d’Alba et Leno : ces derniers viennent de découvrir le principe de l’écho, avec leurs voix qui rebondissent d’un côté à l’autre du canyon.